jeudi 12 juin 2008

Marchés et finance


A PARU DANS LE NEW YORK REVIEW OF BOOKS
VOLUME 55, NO 8 LE 15 MAI, 2008.


LA CRISE FINANCIERE: ENTRETIEN AVEC GEORGE SOROS

signé George Soros, Judy Woodruff
George Soros, du Soros Management Fund, et Judy Woodruff chez Bloomberg TV le 4 avril, 2008.


Judy Woodruff: Votre dernier livre 'The New Paradigm for Financial Markets', estime que "nous vivons actuellement une crise financière de l'ampleur de la Grande Crise." Aurions-nous pu faire autrement?


George Soros: Il me semble que si, mais il aurait fallu reconnaître que le système actuel fonctionne à partir de fausses premisses. Hélas, il est tenu pour acquis - de par une vision de Croyant - que les marchés s'auto-corrigent: c'est faux car il n'y a que l'intervention des autorités pour sauver les marchés perturbés. Depuis 1980, nous avons connu cinq ou six crises: la crise internationnale des banques de 1982, la faillite du Continental Illinois de 1984, and la faillite du Long-Term Capital Management de 1998, pour en nommer trois.


Chaque fois, les autorités sauvent les marchés, ou permettent aux compagnies de le faire. Alors les régulateurs sont forts de précédents. Mais malgré cette réalité, l'idée que les marchés s'équilibrent et que les écarts sont alléatoires reste dominante et tous les instruments sophistiqués d'investissement en découlent.


Il existe présentement, par exemple, des formes complexes d'investissements tels les papiers de crédit-fautifs qui permettent aux investisseurs de parier sur la possibilité que des sociétés ne pourront rembourser certaines dettes. Ces paris sur le crédit fautif représentent actuellement un marché de $45 trillion complètement sans régulation. Cette énorme somme vaut cinq fois le total des obligations du gouvernement américain. Les risques inhérents à de tels investissements ne sont tout simplement pas reconnus.


Woodruff: Ces gens sont intelligents. Comment ne peut-on pas être conscient?


Soros: Mon nouveau livre discute des effets-mirroirs, et retrace l'importance des méprises dans le flux historique. Ce n'est pas vraiment inédit; nous ne nous arrêtons pas sur la question.
Woodruff: Qui aurait dû reconnaître l'erreur? Vous dites que tout aurait pu être évité si on avait reconnu les lacunes du système. A qui aurait du revenir cette tâche?


Soros: C'est le travail des autorités, des régulateurs - la Réserve Fédérale et le Trésor - qui n'ont rien vu venir. Un des gouverneurs de la Fed, Edward Gramlich, a sonné l'alarme sur le marché des sub-primes en 2004 and dans un livre en 2007, et autrement. Certainement certaines personnes voyaient venir. Mais les autorités ne se sont pas prononcées. Et donc ce fut une surprise.


Woodruff: Le Chef de la Fed, M. Bernanke? Son prédésesseur, M. Greenspan?


Soros: Oui, tous deux. Mais je ne les tiens pas personnellement responsables car c'est tout un establishment qui est en cause. Chez les économistes, des théories dites de 'mouvements aléatoires' et 'd'attentes rationnelles' doivent tenir compte des fluctuations de marché. C'est ce qu'on enseigne dans les universités. Maintenant, quand on arrive à travailler dans les marchés, on y pense plus car il est évident que les choses fonctionnent bien autrement. Mais ces idées demeurent, dans un sens, la base de la démarche.


Woodruff: Jusqu'à quel point les choses peuvent-elles se détériorer?


Soros: D'après mas position théorique, on ne peut rien prédire sans connaître la réaction des autorités. Mais la situation est bien pire qu'on ne veut reconnaître. Il y a un désordre dans les marchés financiers carrément le plus important à date. Et de plus, une crise dans l'immobilier, qui risque de devenir plus grave car l'action des marchés a tendance à empirer les choses. Les marchés ont empiré en forçant un grand optimisme, et ils vont maintenant agir en sens contraire.


(à suivre)

Aucun commentaire: