source: The Economist
traduction: GrosseFille
Vers l’avenir
Mort de la démocratie et naissance de la bête inconnue
Extrait de livre et interview avec David Runciman, auteur de How Democracy Ends
(Épuisement de la démocratie).
L’histoire nous livre parfois des lessons incomfortables. Parmi ces dernières, que les
systèmes de gouvernance ne sont pas immortels et que les démocraties peuvent se
transformer en autocracie. Au gré de la décomposition des institutions et de l’usure
des normes de comportement, les pratiques et processus démocratiques passent
à l’indifférence, la démagogie et la désintégration.
Un universitaire à sonner l’alarme - sinon le glas - serait David Runciman. Enseignant de
Science Politique à l’université Cambridge, il est aussi auteur de How Democracy Ends.
Ses répliques suivent, et un extrait de son livre.
The Economist: Certains prétendent que les Libéraux ne se soucient que la démocratie
tombe en crise que quand les gens votent des idées ou des candidates dont ils n’approuvent
pas. On peut leur donner tort.
David Runciman: Les Libéraux s’imaginent imanquablement que la démocratie est en crise,
puisqu’il y aura toujours quelque chose à regretter dans un système où la majorité
décide. Ce qui fait la différence avec la situation actuelle est que non seulement les
Libéraux se plaignent qu’ils sont perdants, mais même les gagnants se comportent
en victimes. La démocratie est à son meilleur quand c’est chacun son tour à se plaindre.
Mais voilà que de toute part -pro- et anti-Trump, pro- et anti-Brexit - on se
sent lésé. Ce type de méfiance écuménique s’avère tout-à-fait nouveau.
The Economist: La démocratie a bien souvent fait face à des crises pouvant l’ébranlée -
et la forçant à s’adapter. Pourquoi craindre le pire maintenant?
M. Runciman: Les crises d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes - de bien des façons,
M. Runciman: Les crises d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes - de bien des façons,
l’échelle des choses pose probléme. Certaines seraient trop importantes et hors de portée
-risque systémique de défaillance économique à l’échelle mondiale, le changement climatique,
les machines intelligentes se proposent en défis devant lesquels le citoyen lambda peut se sentir
assez démuni. En même temps, l’expérience de crise frappe de plus en plus près. Les crises les
plus rassemblantes de siècle dernier se rapportaient à la guerre ou à la menace de guerre - la lutte
pour la survie nationale nous mettait tous dans le même bateau. Les crises du XXIième siècle
renforcent notre sentiment de s’y retrouver chacun pour soi.
The Economist: Facebook, à la fois, ébranle et renforce la démocratire. Qu’en pensez-vous?
La révolution digitale fut simultanément un bien et un mal pour la démocratie, et Facebook
n’est nullement l’exception. Le bien réside dans l’ampleur et l’ouverture du réseau. Le mal
vient du secret et de l’opacité de la gérance du réseau. Facebook
représente une communauté démocratique de deux milliards de personnes et le jouet
perso d’un trentenaire millionaire qui ne répond qu’à lui-même. Ce qui se résume
à un concours entre les membres et la direction, que Zuckerberg va sûrement gagner, car il
en définit les règles. Il n'y a, éventuellement, que le pouvoir de réglementation de l'état pour
rendre Facebook sécuritaire pour la démocratie
The Economist: Les bienfaits d’une démocratire libérale ne devraient-ils pas pouvoir se passer
de justification vis-à-vis des électeurs?
M. Runciman: L’évidence da la chose fait parti du problème. Nous prenons la démocratie pour
acquise, et avons tendance à croire que cela va continuer en dépit de ce que nous pouvons lui
imposer. Il me semble qu’une des raisons pour le vote du Brexit et Trump ne tient pas en une
perte de confiance en la démocratie mais plutôt que certains lui font tellement confiance que
l’on peut tout essayer. Loin de rendre la démocratie invincible, ce type de pensée irréfléchie
la rend vulnérable; ceci nous donne license d’aérer nos revendications sans souci des
conséquences.
The Economist: La démocratie reste un simple moyen. Pouvons-nous la remplacer?
M. Runciman: Bien sûr, on doit pouvoir la remplacer car il serait absurde de penser que
la politique des cent dernières années représente comment les choses devront toujours
se faire. La technology digitale, qui a tellement chamboulée nos vies, n’a eu que très peu
d’effet sur comment nous menons la vie politique. C’est à venir, et nous n’en voyons que les
premiers balbutiements. Il y a là d’énormenes risques mais aussi un grand avantage possible;
la technologie peut toujours nous rendre libres. Voilà qu’il nous faut trouver comment s’y rendre;
ce qui empêche une meilleure vie politique, comme toujours, c’est la politique.
* * *
Extrait de How Democracy Ends (Profile Books, 2018) de David Runciman:
Une dystopie n’est qu’un mauvais rêve, tout comme une utopia un beau - voilà des
endroits qui n’existent pas vraiment. Un monde rempli de machines immensément
puissantes ne relève pas du rêve. Nous l’habitons déjà. Et cela depuis longtemps. C’est
le monde moderne. Comment coexister avec ces immenses machines façonne le coeur
de la politique moderne.
Gandhi était loin d’être le seul à reconnaître que la démocratie Occidentale
prend la forme d’une machine politique. Max Weber, l’illustre sociologue Allemand
contemporain de Gandhi. était du même avis. Avec comme différence que Weber se
rendait compte que l’on ne pouvait guère y échapper. il lui était évident que la démocratie
moderne se devait d’être essentiellement un méchanisme. Les partis politiques se révélaient
être des ‘machines’ - constructions sans âmes dont la raison d’être se résume à acquérir et
garder le pouvoir. Contrairement à Gandhi, Weber peinait à imaginer que nor sociétés pourraient
fonctionner sans ces immenses, et inertes structures. Ceci rendait la politique des démocraties
terrains d’aliénation. Ce qui nous fournissait une voix nous réduisait tout autant au niveau de
rouages dans une machine. Pour Weber, la condition moderne.
Jeremy Bentham, le philosophe et réformateur démocratique d’un siècle avant Weber et Gandhi,
faisait la risée de ses critiques pour ses ‘calculs machins’. Il semblait réduire la
politique à une recherche pour l’algorithm du bonheur. Il cherchait les manettes dont se servir.
Mais Benthan était tout sauf sans coeur. Il cherchait désespérément à rendre la politique
de son époque plus performante: moins cruelle, moins arbitraire, plus tolérante des différences.
Ce qui voulait dire la rendre plus énonçable afin de la libérer du préjugé. Bentham consentait
à humaniser la politique en la déhumanisant en premier lieu.
En retournant encore plus en arrière, l’image définitive de la politique moderne prend la
a figure d’un robot. Depuis le milieu du XVIIième siècle: Dans le Leviathan de Thomas
Hobbes (1651), l’état revêt l’aspect d’un automate, qui prend vie sous l’impulstion d’un
principe de mouvement artificiel. L’état robot ne raisonne pas. Il n’a aucune pensée
autre que celles apportées par ses composantes humaines. Mais donné la bonne structure,
un état moderne peut transformer des intrants humains en extrants rationnels,
car celui-ci enlève les éléments de méfiance violente. L’automate de Hobbes se doit
d’inspirer la peur: au point où tout individu aurait à réfléchir avant de s’y attaquer. Mais
il se trouve aussi réconfortant. Le monde moderne regorge de toute sorte de machines.
Celle-ci a pour but de les maîtriser à nos fins.
Hobbes a bien compris que l’état devait être construit dnas l’imgage de ce qu’il désirait
contrôler. Tout cela devait paraître humain, car le but revenait à contrôler les humains.
Mais il se devait aussi d’être machine: un robot à visage humain. Ce robot nécessaire
pour nous sauvegarder de nos pulsions naturelles. Laissés à eux-mêmes, les humains
pouvaient très bien reduire toute communauté politique en charpie. Pour Hobbes, nous
avions là la grande leçon du monde antique: une politique à partir de l’action humaine
sans médiation se revire en mêlée générale de grande violence. Tous les états anciens
ont fini par s’effondrer. Rien d’à ce point humain ne peut perdurer. Sauf une machine
moderne.
Néanmoins, il y avait deux énormes risques à créer un état robotique. Le premier étant que
celui-ci n’aurait pas la puissance nécessaire. D’autres créatures artificielles moins
impitoyables, plus efficientes, plus robotiques - et, implicitement, moins humaines -
s’avéreraient plus fortes. La seconde, que celui-ci resemblerait trop à ce qu’il devait
contrôler. Dans un monde de machines, l’état pouvait bien s’aliéner. Pourrait devenir
complètement artificiel. On a là la peur première du monde moderne; pas ce qui se
passe quand les machines nous resemblent trop, mais ce qui se passe si nous venons à
trop resembler aux machines.
Les machines les plus redoutables chez Hobbes sont les corporations. Nous y sommes
tellement habituées que nous ne remarquons guère à quel point ces dernières peuvent
être étranges et assimilables à des machines. Chez Hobbes, elles contituent une autre
espèce de robots. Elles existent pour nous servir, mais peuvent prendre une existence propre.
Une corporation n’est pas un assemblage non-naturel d’humains pour accomplir certaines
tâches. Il y avait danger que les humains pourraient venir à servir les fins des corporations.
Bien des choses qui nous inquiètent quand nous projetons un monde sous l’influence de
l’intelligence artificielle sont les mêmes inquiétudes se rapportant aux corporations depuis
des siècles. Ce sont des monstres de création humaine. Sans conscience parce que sans âmes.
Peuvent vivre plus longtemps que des humains. Certaines peuvent même paraître quasi-immortelles.
Les corporations, tout comme les robots, peuvent sortir indemnes de faillites humaines. À la
première moitiè du XXième siècle, la société Allemande a connu des revers mortifères. La simple
échelle de destruction encourue fut étonnante. Mais certaines corporations Allemandes s’en sont
sorties comme si de rien n’était. Certaines des plus imposantes firmes Allemandes créées au
XIXième siècle sont toujours parmi mous - Allianz, Daimler, Deutsche Bank, Siemens. Comme si
la folie humaine n’avait aucune emprise sur elles.
En même temps, on ne se passe plus de la forme corporative. Certaines peuvent perdurer,
mais la plupart ont la vie courte. Les humans les créent et les défont en accéléré. Puisqu’il
n’y a ni ames ni sentiments, c’est sans conséquence. Certains ne sont que des écrans. Que
nous multiplions sans dessin. Elles se reproduisent aussi par elles-mêmes. Les corporations en
engendrent d’autres - comme des poupées Russes - simplement pour mettre leurs activitées à
l’abri des regards. Un des scénarios cauchemardesques de notre avenir robotique passe par des
robots qui savent se reproduire. Nous avons déjà une petite idée de cela à quoi ceci pourrait resembler -
c’est l’univers corporatif.
Hoobes était d’avis que le seul contrôle possible des corporations viendrait d’un état artificiel.
Il avait raison. Avant le XXVIIIième siècle, les états et les corporations se faisaient compétition
pour le territoire et l’influence. Et rien ne garantissait la victoire éventuelle de l’état. La East India
Tea company fut plus performante et futée que l’état dans bien des parties du monde. Cette
corporation a mené des guerres. Elle a levé des impôts. A partir de ces activitées, elle est devenue
très puissante et très riche. Mais l’état moderne a evolué en pouvoir et autorité au cours des
deux cents ans passés, s’est démocratisé, et a su s’imposer. L’état britannique a nationalisé la
EITC en 1858. De même l’activité anti-trust de Roosevelt au début de XXièem siècle, quand on
brisa les pouvoirs de monopole des plus grosses firmes Américaines, a affiché la confiance
nouvellement trouvée de l’état démocratique. Mais était-ce vraiment l’oeuvre de Roosevelt.
Plutôt Roosevelt le visage humain de l’immense machine politique Américaine. Le Leviathan en action.
Weber avait raison: la politique moderne reste une machine. Ce que cherchait Gandhi à cet égard
relève de l’utopie. Mais la machine démocratique peut humaniser le monde moderne artificiel.
Voilà la promesse de la politique démocratique, jusqu’à maintenant, bien tenue.
Une plainte souvent portée à l’instar de la démocratie au XXIième siècle revient à une perte de
contrôle face au pouvoir corporatif. Les grosses firmes thésaurisent la richesse et l’influence.
Elles enflamment les inégalités. Elles dépouillent la planète de ses richesses. Elles refusent
de payer des taxes. Chez plusieurs corporations, rien de nouveau - les banques et compagnies
pétrolières connaissent la regaine. Mais les banques et compagnies pétrolières ne sont plus les
entités les plus puissantes. Entrent en jeu les géants de la tech: Facebook, Google, Amazon et
Apple. Ces dernières ont la beauté du diable, jeunes et sans taches. Elles croient faire le bien.
Elles n’ont pas l’habitude du ressentiment. L’état hésite sur le traitement à apporter à de tels monstres.
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