jeudi 4 avril 2019

Consciousness

J'entreprends, aujourd'hui, la traduction vers le français d'un
article paru sur le site web de la BBC (British Broadcasting
Corporation). Sur les travaux en cours pour mieux comprendre
le phénomène de l'état de conscience (consciousness). Fascinant!

http://www.bbc.com/future/story/20190326-are-we-close-to-solving-the-puzzle-of-consciousness

https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Nagel


source: BBC Future le 27 mars 2019
auteur: David Robson
traduction: GrosseFille

Approchons-nous d’une compréhension du phénomène de la conscience?

La IIT ‘integrated information theory’ de Giulio Tononi pourrait
apporter une solution à la plus grande énigme de la neuroscience

Un homard ressent-il la douleur comme vous et moi?

Nous savons qu’ils possèdent les mêmes récepteurs sensoriels - les nocicepteurs -
qui nous poussent à nous rétracter ou pleurer face à la douleur. Et leur comportement 
nous indique clairement qu’ils ressentent quelque chose de désagréable. Si un
Chef cuisinier les place dans l’eau bouillante, par exemple, leurs mouvements de queue 
indiquent l’agonie.

Mais ressentent-ils vraiment cette sensation? Ou a-t-on affaire à une simple 
réponse réflexe?

Si vous et moi entreprenons un acte, notre esprit s’en voit muni d’une expérience
complexe. Nous ne pouvons prendre pour acquis qu’il en serait de même chez d’autres espèces animales, cependant - en particulier, avec des cerveaux terriblement différents des nôtres. Il devient tout-à-fait possible - certains scientifiques diraient probable - qu’une créature telle un homard n’ait aucune expérience interne, en comparaison avec notre riche monde intérieur.

‘Dans le cas d’un chien, qui se comporte dans une grande mesure comme nous, qui habite un corps pas tellement différent du nôtre, il devient beaucoup plus probable qu’il voit et entende les choses plutôt comme nous, que complètement dans le ‘noir à l’intérieur’ pour ainsi dire,’ avance Giulio Tononi, un neuroscientifique de l’université Wisconsin-Madison. ‘Mais dans le cas d’un homard, non.’

La question de savoir si d’autres cerveaux - bien étrangers aux nôtres - possèdent la sentience, serait une parmi plusieurs énigmes se rapportant au travail de la science face à la conscience du monde. Quand est-ce-que l’expérience de notre propre existence se manifeste-t-elle dans notre cerveau? Pourquoi ce jeu particulier de sensations? Et les ordinateurs connaîtront-ils un jour une vie intérieure analogue?

Tononi possède peut-être la solution à ces énigmes. Sa théorie dite ‘de l’Information intégrée’ reste une des théories de la conscience les plus habiles à voir le jour ces dernières années et, même si non avérée à date, conduit à des hypothèses passibles de fournir de véritables réponses.

Tonini nous confie que sa fascination a pris naissance pendant l’adolescence à partir 
d’une pré-occupation ‘plutôt typique’ avec la morale et la philosophie. ‘Je me suis rendu compte que savoir ce qu’est la conscience et comment elle est advenue serait central à la compréhension de notre situation dans l’univers et comment orienter notre activité,’ nous dit-il.

À cet âge, il ne voyait pas le meilleur chemin à la poursuite de ces questions - les mathématiques? la philosophie? - mais éventuellement il opta pur la médecine. Et l’expérience du travail ‘en clinique’ s’avéra bien utile pour le jeune homme. ‘C’est vraiment spécial d’avoir accès à des cas neurologiques et psychotiques,’ il nous apprend. ‘Cela force le regard vers ce qui se passe quand des patients perdent la conscience ou les aspects de  conscience dans des formes difficiles à imaginer sans l’avoir vu.’

Pour ses travaux professionnel, toutefois, il bâtit sa réputation par du travail inédit dans le domaine du sommeil - un domaine sans controverse. ‘Dans ces années on ne pouvait même pas mentionner la conscience,’il ajoute. Mais la question l’intéressait toujours et, en 2004, il publia une première description de son approche théorique, qu’il a ultérieurement renforcée et developée.

Cela commence par des axiomes sur ce qui fait la conscience. Tononi propose que toue expérience dite conscience doit possédé une structure, par exemple - en contemplant l’espace autour de vous, vous voyer les objets les uns par rapport aux autres. C’est aussi spécifique et ‘unique’ - chaque expérience sera différente en fonction des circonstances particulières, ce qui veut dire qu’il y a un nombre énorme d’expériences possibles. Et cette expérience sera le fruit d’une intégration. Si vous
regarder un livre rouge sur une table, sa forme, couleur et emplacement - initialement
oeuvre de processus différents à l’intérieur du cerveau - se retrouveront dans une même expérience consciente. Même que Nous associons de l’information parvenus à partir de différents sens - pour Virginia Woolf ‘l’incessante ondée d’atomes innombrables’ -  dans une unique expérience du moment.

À partir de ces axiomes, Tononi nous propose d’identifier la conscience d’une personne (ou animal, ou même ordinateur) à partir du niveau d’intégration possible pour ce cerveau (ou processeur). aux termes de cette théorie, plus il y a d’information partagée entre différentes composantes à contribution pour cette expérience, plus élevé sera le niveau de conscience.

Sans doute la meilleure façon d’entrevoir ce que cela implique dans la pratique serait de comparer le système visuel du cerveau à une caméra digitale. La caméra capte la lumière de chaque pixel dans le récepteur d’image - vraiment, énormément d’information. Mais les pixels ne sont pas reliés entre eux et ne partagent pas d’information: chacun s’occupe de son tout petit morceau du tableau. Et sans cette
intégration, il ne peut y avoir de riche expérience sensorielle.

tout comme la caméra digitale, la rétine humain contient plusieurs récepteurs qui initialement captent de petits éléments de la scène. Mais ces données seront ensuite partagées et utilisées dans différents régions du cerveau. Certains régions s’occupent de la couleur, avec adaptation des données brutes pour percevoir les niveaux de lumières et nous permettre de reconnaître les couleurs même dans des conditions alternées. D’autres s’occuperont les contours, ce qui implique parfois deviner les parties obscures d’un objet - une tasse de café devant une moitié de livre, par exemple - on atteint quand même une estimation de la forme totale. Ces régions vont donc partager cette information, en montant dans la hiérarchie pour assimiler les différents éléments - et voilà atteinte l,expérience consciente de tout ce qui nous entoure.

Même processus pour la mémoire. À l’encontre de la bibliothèque de photos de la caméra digitale, nous ne rangeons pas chaque souvenir séparément. Ces derniers sont amalgamés et renvoyés afin de former une narration cohérente. chaque expérience nouvelle, sera intégrée à l’information pré-existante. voilà pourquoi un petit gâteau madeleine peut nous retourner à l’enfance - et tout cela forme notre conscience du monde.

Tout au moins, nous avons là la théorie - et compatible avec plusieurs observations et expériences venant de tous les domaines de la médecine.

Une étude, publiée en 2015, examine les cerveaux de participants sous anesthésie - y compris le propofol et le xénon. Afin de cerner la capacité du cerveau à intégrer l’information, l’équipe a appliqué un champ magnétique au-dessus du cuir chevelu afin de stimuler une petite portion du cortex sous-jacent - une technique usuelle non-envahissante, la stimulation magnétique trans-crânienne (Transcranial Magnetic Stimulation, TMS). Chez un sujet éveillé, on verrait une série d’activités en réponse de la part du cerveau, avec plusieurs régions sollicitées que Tononi reconnaît comme signe d’intégration de l’information entre différent groupes de neurones.

Mais les cerveaux de sujets soumis au propofol et xénon n’ont pas exhibé cette réaction - les ondes cérébrales générées se présentaient en une forme beaucoup plus simple en comparaison avec le brouhaha d’activité du cerveau éveillé. En changeant les niveaux d’importants neurotransmetteurs, ces drogues semblent avoir freiné l’intégration de l,information au cerveau - et ceci correspondait au manque total de sentience  de la part des participants durant l’expérience. Leur vie intérieure se réduisait au noir.

Fantasmes par les drogues

Ajoutant une comparaison, l’équipe s’est penchée sur des participants drogués à la kétamine. Pendant qu’ile est vrai que cette drogue coupe le sujet du monde extérieur - ce qui veut dire que l’on peut aussi s’en servir  pour l’anesthésie - le sujet fait souvent état de rêves violents, en opposition au pure ‘vide’ du propofol ou du xénon. Comme prévu, l’équipe de Tononi remarqua que des réactions au TMS beaucoup plus complexes que celles sous toute autre anesthésie, reflet d’un flux conscient perturbé. Ils se trouvaient coupés du monde extérieur, mais leur esprit restait bien en alerte à l’occasion de fantasmes par la drogue.

Tononi avait d’ailleurs obtenu des résultats similaires dans l’étude des différentes étapes du sommeil. À l’occasion du sommeil non-REM (non-paradoxal) - là où les rêves se font plus rares - les réactions au TMS devenaient moins complexes; tandis que pendant le sommeil REM, qui coïncide souvent avec l’état de conscience du rêve, l’intégration de l’information semblait plus élevée.

Il nous avertit que nous ne tenons pas là une preuve que sa théorie est valide, mais montre quand même que son approche est prometteuse. ‘Disons simplement que si les résultats obtenus avaient été contraires, nous serions en difficulté.’

De plus, la théorie de Tononi résonne bien avec le vécu de personnes souffrant de lésions cérébrales. Prenons le cervelet en exemple, cette masse rose-grise à la base du cerveau; sa responsabilité première revient à assurer le mouvement. On y trouve là quatre fois le nombre de neurones trouvé pour le cortex, la couche d’aspect d’écorce formant l’extérieur du cerveau - à peu près la moitié des neurones de tout le cerveau. Mais voilà que certaine personnes n’ont pas de cervelet ( soit qu’ils soient nés ainsi, ou l’ayant perdu suite à une lésion au cerveau) et ils restent toutefois capables de conscience du monde, avec des vies assez longues et ‘normales’ sans atteinte à la conscience.

De tels cas deviennent incompréhensibles si on raisonne à partir du simple nombre de neurones affectant la création de l’expérience consciente. En accord avec la théorie de Tononi, cependant, le traitement du cervelet se produit surtout localement plutôt que par l’échange et l’intégration de signaux, ce qui implique qu’il y aurait un rôle très réduit dans la conscience.

Les mesures de la réaction du cerveau au TMS servent aussi  à prédire le niveau de sentience chez les patients dans un état de non-communication ou végétatif - un résultat qui a de lourdes applications cliniques.

Les grandes prétentions ont bien besoin de preuves, bien entendu - et peu de questions scientifiques ont le poids du mystère de l’état de conscience.

À date, les méthodes de Tononi n’offrent qu’un approximation primitive de l’intégration de l’information à l’intérieur du cerveau - et pour vraiment mettre sa théorie à l’épreuve, on aura besoin d’outils plus sophistiqués aptes à mesurer le traitement pour tous les types de cerveau.

Daniel Toker, neuro-scientifique de l’université de la Californie Berkeley, admet que la notion que l’intégration de l’information s’avère nécessaire pour la conscience semble bien’intuitive’ pour les scientifiques, mais il manque beaucoup de preuve. ‘La perspective élargie du domaine reconnaît là une idée intéressante, mais à ce point plutôt sans acquis de preuve,’ il ajoute.

Cela nous renvoie aux mathématiques. À partir des techniques existantes, le temps nécessaire à mesurer l’intégration de l’information dans un réseau s’accroît de façon ‘super exponentielle’ avec le nombre de nodules impliquées - avec comme conséquence que, même avec les meilleurs ressources technologiques, le calcul dépasserait la durée de vie de l’univers. Mais Toker travaille à un ingénieux raccourci pour ces calculs qui descendent le tout à quelques minutes, testé avec des mesures sur des macaques. Ce qui pourrait porter la théorie sur une base expérimentale plus solide. ‘Nous ne faisons que commencer,’ avoue-t-il.

À ce point, on pourrait se tourner vers des questions importantes - telles que la comparaison de l’état de conscience chez des types de cerveaux différents. Mais si la théorie de Tononi n’est pas la bonne, éventuellement, Toker loue cet effort qui aura pousser la neuro-science vers les mathématiques sur la question de la conscience - une source d’inspiration pour les futures théories.

Et si l’intégration de l’information l’emporte, cela serait un changement d’approche - avec des implications en dehors de la neuro-science et la médecine. La preuve pour l’existence d’un flux conscient chez une créature, un homard par exemple, pourrait
transformer le droit à la faveur des animaux.

On y trouverait aussi réponse à des questions de longue date sur l’intelligence artificielle. Tononi prétend que l’architecture de base des ordinateurs d’aujourd’hui - à partir de réseaux de transistors - rend impossible le niveau d’intégration de l’information nécessaire à l’émergence de la conscience. On pourrait les programmer à se comporter en humains, mais jamais ils n’auraient notre riche vie intérieure.

C’est déjà gagné pour certains que, tôt ou tard les ordinateurs nous égaleront du point de vue cognitif - non seulement pour quelques tâches, jouer au Go, aux échecs, la reconnaissance du visage, conduire une voiture, mais dans tous les domaines,’ nous dit Tononi. ‘Mais si la théorie de l’Information intégrée s’avère correcte, les ordinateurs pourraient bien se comporter comme vous et moi - on pourrait même converser avec de façon tout-à-fait agréable, voire plus, qu’avec vous et moi - mais il n’y aurait litérallement personne là.’ encore, cela revient à savoir si le comportement intelligent vient de la conscience - et Tononi nous répond que non.

ll reprend qu’il y a plus à considérer que la simple capacité de traitement, ou le type de logiciel employé ‘L’architecture physique reste toujours la même, et ce n’est pas précurseur de la conscience.’ Et voilà pour les scénarios de la science-fiction.

On pourrait même arriver à mieux comprendre comment on interagit entre nous. Thomas Malone, directeur du Massachusetts Institute of Technology’s Center for Collective Intelligence et auteur du livre Superminds, a plus récemment appliqué la théorie à des équipes de personnes - au laboratoire, et dans le monde réel, y compris les éditeurs chez Wikipédia. Il a démontré que des mesures de l’information intégrée partagée par des membres d’une même équipe seraient prédicteurs de performance sur diverses tâches. Même si le concept de état de ‘sensibilité de groupe’
peut semble tiré par les cheveux, il pense quand même que l’on peut y mieux comprendre comment des groupes de personnes assez larges parfois pensent, ressentent, se souviennent, décident et réagissent comme un.

Bien sûr nous sommes dans la spéculation: il convient de premièrement s’assurer que l’information intégrée connote la conscience chez l’individu. ‘Mais je reste persuadé que cela demeure fascinant de contempler las possibilité d’un groupe conscient.’

Pour l’instant, nous n’avons aucune certitude sur le homard, l’ordinateur ou même la société par rapport à la conscience, mais dans l’avenir, la théorie de Tononi nous aidera peut-être à apprivoiser des ‘esprits’ très différents de nous-mêmes.          

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