dimanche 17 juillet 2011

Partage

ource : The Guardian.
propos recueillis par Chris Broughton


PARTAGE : La mémoire de ma femme ne dépasse pas 90 secondes.

J’ai pris conscience que quelque chose n’allait plus chez ma femme, Nicola, autour de Noël 2003 - son 60ième anniversaire. Nous avions fait une randonnée d’un jour sur l’Orient Express et elle s’est mise à exhiber des comportements bizarres - et disait des choses qui n’avaient aucun sens, des bribes de phrases sans fin. Arrivée à la maison, elle était devenue complètement incohérente.

Nicola fût mon amie de coeur depuis toujours - nous étions mariés depuis bientôt 40 ans. Elle a toujours été passionnée et lucide - je ne comprenais pas ce qui se passait. Notre médecin de famille a avancé que c’était là sans doute due à un nouveau médicament faibement anxiolytique qu’elle prenait depuis quelques mois et que nous verrions une amélioration mais les choses empiraient. Le jour de Noël, Nicola a carrément décroché - elle en bavait. Elle fut admise d’urgence à l’hôpital.

Le diagnostic fût celui d’une rare forme de maladie inflammatoire du cerveau (encephalitis). Le médecin traitant m’a expliqué que son cerveau était lourdement endommagé et qu’elle ne serait jamais plus la même. J’avais de la difficulté à comprendre. Il ne pouvait prédire les changements à venir et j’ai compris, avec appéhension, qu’il nous faudrait attendre.

Nicola a vécu à l’hôpital trois mois. Au début, elle souffrait de confusion et n’arrivait plus à se rappeler pourquoi elle était là, et qui étaient les gens autour d’elle. Petit à petit, elle a retrouvé sa mémoire à long terme et on l’a laissé revenir à la maison même si elle ne se souvenait pas toujours de qui j’étais. Un soir, au pub avec des amis, elle a connu une réelle peur quand j’ai voulu la ramener à la maison. Elle connaissait nos amis, mais pas moi.

Mais c’était sa capacité à effectuer un transfer entre la mémoire à court et à long terme qui était perdue. En termes simples, Nicola n’arrive plus à se créer de nouveaux souvenirs. Elle ne se rappelle des visages et événements qui se sont produits avant sa maladie. On lui présente quelqu’un de nouveau, il quitte la pièce pour quelqes moments, il faut lui présenter de nouveau. La mère de Nicola est décédée il y a quelques semaines, et Nicola parle toujours d’elle comme d’une personne vivante. Et bien qu’elle voit nos trois petits enfants plusieurs fois par semaine, elle ne se souvient que du plus vieux, né avant sa maladie.

Tout ceci s’avère terriblement difficile pour notre famille, mais j’essaie de prendre les choses du côté pratique, plutôt que de me perdre dans l’émotion. C’est ma façon à moi. On ne peut laisser Nicola seule, car elle pourrait faire des choses comme, mettre à cuire dans l’auto-cuiser et oublier, mais j’ai réussi à adapter mon travail afin d’être presque toujours présent à la maison. De plus, ma fille habite tout près et nous est d’un grand secours. Elle s’est adaptée rapidement à la situation et, comme moi, cherche une solution pratique à tout. Mon fils, par contre, prend ça dur; il a perdu sa meilleure complice.

Nicola n’est plus la même. Elle garde son apparence et ses manières mais la personnalité vivace et intelligente a disparu. Ça me brise le coeur. Il m’est même arrivé, quand elle se répétait trop, de perdre patience. Je me repentis, mais il est consolant de penser qu’après quelques minutes, elle en aura perdu le souvenir. Elle ne peut pas lire, ou suivre une émission de télé, et elle n’est pas apte à l’emploi. Elle prenait grand plaisir à vendre des bonbons, mais ça ne serait plus sécuritaire. Elle apprécie maintenant les tâches répétitives. Elle adore les casse-tête et refait le même jour après jour. C’est toujours un défi.

On lui a expliqué que sa mémoire ne fonctionnait plus, et elle semble l’avoir accepté. À mon idée, il lui est impossible de réellement comprendre ce qui lui arrive et, par conséquent, elle serait plutôt heureuse la plupart du temps. Certains jours, il me semble vivre un deuil. La femme forte et intelligent que j’aimais n’est plus. Elle est d’opinion plus conservatrice, comme au temps où je l’ai connue, alors qu’elle habitait chez ses parents. C’est comme si elle retournait en arrière. Je me demande parfois si elle me considère comme une présence parentale.

J’essaie de ne pas me tourmenter avec notre situation. Nicola et moi avons vécu un mariage heureux et je ne suis pas maintenant malheureux car je sais qu’elle est paisible. Pour le positif, Nicola n’a jamais de soucis. C’est quelqu’un qui vit dans le moment présent.

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