On comprend, maintenant, le mécanisme d’action
de l’alcool - et ce qui peut le rendre très addictif
pour les personnes timides.
source: The Guardian
auteur: Amy Fleming
traduction: GrosseFille
La gueule de bois anxieuse: pourquoi l’alcool entraîne la gueule de bois et l’anxiété
Prendre quelques verres peut relaxer - mais, ajoute le scientifique David Nutt, ce reveil difficile ce lendemain indique que l’alcool trompe le cerveau
Pour celui qui attend son premier verre à la suite d’un janvier sans alcool, attention:
ce n’est pas si simple. On sent bien que l’on a mérité un peu d’alcool après s’être résolument abstenu pendant tout ce mois - auriez-vous perdu de vue ce que c’est de s’éveiller avec inquiétude de ce que l’on aurait fait ou dit la veille? Ces sentiments post-cuite de culpabilité et de stress se nomment gentiment l’hangxiety (ou geule de bois anxieuse). Quelle en serait la cause?
David Nutt, cet enseignant en neuropsychopharmacologie du Imperial College, London, est le scientifique viré in 2009 du poste de conseiller en chef gouvernemental sur les drogues car il avait avancé que l’alcool serait plus dangereux que l’ecstasy ou le LSD. Je lui propose que mon malaise du lendemain reviendrait au fait d’une déshydratation-raisin causée par l’alcool. Dans son explication des mécanismes par lesquels l’alcool engendre une anxiété paralysante, j’entrevois pire.
Il me dit que l’alcool cible le récepteur du GABA (l’acide gamma-aminobutyrique),
qui transmet des messages chimiques aux cerveau et système nerveux central afin
de désactiver l’activité des cellules nerveuses. En bref, il calme le cerveau, en réduisant l’excitation car moins de neurones s’activent. ‘L’alcool stimule le GABA, et c’est
pourquoi l’on devient relax et de bonne humeur en buvant,’ explique le docteur Nutt.
Les deux premiers verres induisent un sentiment de bien-être paradisiaque dû au GABA. Rendu au troisième ou quatrième verre, on a droit à un autre effet réducteur d’activité cérébrale:i l y a blocage du glutamate, le transmetteur excitant principal du cerveau. ‘Plus de glutamate veut dire plus de sentiment anxieux’, d’après le docteur Nutt. ‘Moins de glutamate se traduit par moins d’anxiété.’ C’est pourquoi, il précise ‘quand les gens se saoulent carrément, ils sont encore moins anxieux qu’un petit peu enivrés’ - l’alcool non seulement réduit le bruitage du cerveau en stimulant le GABA, mais l’angoisse se voit réduite par le blocage du glutamate. Dans l’ivresse, on peut en venir à penser que tout cela est pour le bien - ce serait une erreur.
Le corps prend acte de ce nouveau déséquilibre chez les substances chimiques du cerveau et cherche à rectifier la situation. C’est analogue à une trop forte prise de sucreries et le corps produit une abondance d’insuline pour faire descendre le taux de sucre sanguin; les sucres assimilés, toute cette insuline se traduit par un krach du sucre sanguin. quand quelqu’un s’enivre, le corps part en mission pour faire redescendre le niveau du GABA à la normale et faire remonter le glutamate. À l’arrêt de l’alcool, la personne se retrouve avec une fonction GABA trop basse et un pic de glutamate - une situation extrêmement anxiogène, nous dit le docteur Nutt. ‘Cela peut aussi conduire à des convulsions, et c’est pourquoi on souffre de spasmes en désintoxication.’
Cela peut prendre une ou deux journées au cerveau pour rejoindre le statu quo ante, et c’est pourquoi reboire peur sembler si tentant. ‘Pour quelqu’un qui a abusé pendant longtemps,’ reprend le docteur Nutt ‘le cerveau peut prendre des semaines pour se normaliser. Chez les alcooliques, on remarque des changements au GABA sur des années.’
Encore pire, l’anxiété entre en jeu quand le sujet essaie de se remettre par le sommeil.
‘Si on examine le sommeil des gens enivrés, ils s’endorment rapidement. Ils dorment plus profondément qu’à la normale, et c’est pourquoi ils se mouillent ou ont des terreurs nocturnes. Et voilà que, au bout de approximativement quatre heures, le manque s’installe - et c’est à ce point que l’on se réveille tremblotant et énervé.’
Les déséquilibres du GABA et du glutamate ne sont pas seuls. L’alcool occasionne aussi une petite hausse de la noradrénaline - que l’on identifie comme l’hormone permettant de fuir/affronter le danger ‘La noradrénaline supprimera le stress initialement, mais l’augmentera par la suite,’ prévient le docteur Nutt. ‘Une anxiété sévère revient à une poussée de noradrénaline dans le cerveau.’
Une autre composante de la hangxiety revient à ne pas se souvenir des trucs honteux que l’on a sûrement dit ou fait en état d’ébriété. ‘ La présence du glutamate s’avère nécessaire à la formation de souvenirs,’ nous dit le docteur Nutt, ‘et rendu au sixième ou septième verre, le système du glutamate tombe en arrêt, et on ne se souvient de rien.’
Si tous ne se reconnaissent pas, c’est bien parce que la hangxiety ne nous affecte pas tous également, tel que nous l’apprend une étude publiée dans le journal Personality and Individual Differences. Des chercheurs ont recensé chez des jeunes gens bien en santé sur leur sentiments d’anxiété avant, durant, et le lendemain d’une prise d’alcool. Une des auteurs de l’étude, Celia Morgan enseignante en psychopharmacologie de l’université de Exeter nous apprend que: ‘Les timides présentaient un niveau d’anxiété largement supérieur à celui des non-timides,’ L’équipe a aussi décelé une corrélation entre un sérieux niveau d’hangxiety et la propension à souffrir de problèmes de consommation (alcohol use disorder). ‘C’est peut-être un des moteurs de la dépendance,’ nous dit la docteure Morgan.
Une des théories expliquant pourquoi la timidité mettrait à risque de hangxiety et alcoolisme avance que les effets en dent de scie du GABA seraient plus prononcés dans ce cas de figure. Le niveau de base du GABA pourrait être plus bas,avance la docteure Morgan. ‘L’effet pourrait aussi avoir une cuase psychologique - les anxieux seraient plus portés vers le rabâchement, se remémorant la nuit d’avant, et nous avons là un mécanisme possible.’
L’étude aura quand même des implications assez larges - car, la plupart boivent pour faciliter la vie sociale à un certain niveau.
Pur le négatif, il y a pas de remède à l’hangxiety autre que de moins boire, et peut-être s’en remettre aux antidouleurs - on s’occupe du mal de tête. ‘En théorie, on choisit l’ibuprofène plutôt que le paracétamol,’ nous apprend le docteur Nutt, ‘ car ce premier est anti-inflammatoire - mais voilà qu’on ne connaît pas la contribution de l’inflammation à la gueule de bois, On y travaille, on cherche à la mesurer,’
La docteur Morgan suggère s’en prendre à l’effet cyclique. ‘Avant de boire pour atténuer l’anxiété d’une situation sociale, on se projette dans le lendemain dans lequel ce sera sans doute pire. S’il cela semble insupportable sans un verre, il devient fort possible que votre hangxiety soit en progression. Boire peut vous aider dans le court terme, mais dans la durée les conséquences seront bien pires.’ Dans le traitement des phobies, il convient de laisser le sujet face à sa peur afin d’y faire face. ‘En se réfugiant dans l’alcool, les gens perdent cette option’, nous dit la docteur Morgan.
Mais on nous offre quand même de l’espoir pour l’avenir. Le docteur Nutt fait partie d’un projet visant à identifier les bons éléments de l’alcool tout en larguant les mauvais.‘L’alcosynth’, de par son nom actuel, nous permettrait de noyer ses peines, mais sans déséquilibrer le GABA et le glutamate. ‘Nous avons atteint une deuxième étape de levée de fonds pour parvenir à un produit,’ il nous annonce. Si on découvrait l’alcool aujourd’hui, ce serait considéré une denrée dangereuse illégale.’
en attendant la venue de l’alcosynth, le message fort du docteur Nutt serait le suivant:
‘Ne jamais se fier à l’alcool pour guérir l’hangxiety. Ceux qui boivent le matin pour surmonter l’hangxiety ont rejoint le niveau de la dépendance. Ça va vite.’
https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2019/jan/27/hangxiety-why-alcohol-gives-you-a-hangover-and-anxiety
