vendredi 15 février 2008

samedi 9 février 2008

vendredi 1 février 2008

Crise Financière

du New Yorker Magazine
le 4 février 2008

MINSKY A L'HONNEUR
de John Cassidy

Il y a vingt-cinq ans, quand la plupart des économistes faisaient l'éloge de la dérégulation financière et de l'innovation, se tenaient à part Hyman P. Minsky avec une toute autre perspective sur les agissements de Wall Street; de fait, il faisait remarquer que banquiers, courtiers, et autres de la finance jouaient périodiquement un rôle de déclencheurs, mettant l'économie à feu et à flamme. Car ils encourageaient firmes et individus à assumer trop de risque, créant ainsi des cy-cles de prospérité/déconfiture. La seule solution devenant une régulation accrue de la part des gouvernements.

Les collègues de Minsky considéraient cette hypothèse sur l'instabilité des marchés financiers, qu'il a proposé dans les années soixante, comme exagérée, sinon franchement farfelue. Aujourd'hui, face à la crise des subprimes qui risque de se transformée en récession, on cite à souhait cette théorie dans les sites Web voués à la finance et dans les textes d'analystes de Wall Street. L'hypothèse de Minsky vaut le détour. Nous avons présentement un accord du Président Bush et de la Chambre sur des mesures à prendre pour 'stimuler' l'économie, mais la gage du succès pour qui veut guérir un mal reste un bon diagnostic de départ.

Minsky, décédé en 1996, à l'âge de soixante-dix-sept ans, possédait une doctorat de l'université Harvard et avait oeuvré comme enseignant à Brown, Berkeley, et Washington State. Loin de s'en prendre aux institutions financières - il a tenu un poste de directeur à la Mark Twain Bank, de St-Louis pendant plusieurs années - il les connaissaient sans doute mieux que la plupart des économistes-enseignants. Le cycle du crédit décrit par Minsky comprend cinq stages: perturbation, bulle spéculative, euphorie, course-au-profit et panique. Il y a perturbation quand les investisseurs s'éveillent à quelque chose- une invention, tel l'internet, ou une guerre, ou un changement rapide de politique économique. Le cycle le plus récent débuta en 2003, quand Alan Greenspan du Fed reduisit le taux d'intérêt à court-terme à un- pour-cent, conjugué d'un afflux inespéré d'argent de source étrangère de la part de la Chine, dans des bons du Trésor U.S. Il était ainsi facile d'emprunter - en particulier pour des hypothèques - à un niveau historique, et rapidement on vit une bulle spéculative sur l'immobilier beaucoup plus importante, en terme comptable, que la bulle précédente des actions technologiques.

Unee bulle crée une situation d'euphorie, nous informe Minsky, et les banques et autres institutions fournissent des crédits à des emprunteurs progressivement moins sûrs, souvent par le biais de nouveaux instruments financiers. Pendant les années quatre-vingt, on vit les junk-bonds. Plus récemment, c'est les hypothèques sécurisées, qui permettent aux banques de prêter sur hypothèques sans se soucier d'un remboursement éventuel. (A l'investisseur dans ce nouveau type d'action à se débrouiller avec les problèmes d'acquittement.) Et alors, le marché ayant atteint son sommet (dans ce cas-ci, milieu 2006), les investisseurs futés sortent leurs profits.

Les débuts d'un mouvement de panique sont normalement déclenchés par une situation dramatique: en juillet, deux fonds spéculatifs Bear Stearns investis lourdement dans l'immobilier s'épuisent. Six mois et quatre coupures dans les intérêts plus tard, Ben Bernanke et ses collègues de la Fed se débattent avec la déconfiture. Malgré des belles performances la semaine dernière, le prognostic est sombre. Dean Baker, co-directeur de la Center for Economic and Policy Research nous apprend que le prix moyen des demeures d'habitation s'amoindrit à un taux annuel de dix-pour-cent, du jamais-vu depuis la Seconde guerre mondiale. Ceci signifie que les ménages américains s'appauvrissent au rythme de plus de deux billons ("trillions") par année.

Il reste bien difficile de prédire comment la baisse des prix dans le domaine de l'habitation va influer sur l'économie, mais à partir de simulations économiques récentes de Frederick Mishkin, un gouverneur à la Fed, pour chaque dollar de baisse dans la valeur immobilière d'une famille américaine-type, on peut prévoir une baisse dans les dépenses de 7 cents. Au niveau national, cela représente cent cinquante-cinq milliards de dollars, plus important que le projet d'incitation du président Bush. Et cela sans prendre en compte une baisse du marché des actions, une perte de confiance générale, et l'imposition tardive de politiques de crédit plus serrées - tous des facteurs qui réduiront l'activité économique.

On ne peut s'attendre, par une année d'élection, que la classe politique avoue se sentir désemparée. Ceci dit, il est plutôt triste que du côté Républicain, on en profite pour vouloir que les coupures de taxe du Président deviennent permanentes, tandis que chez les Démocrates, on avance l'idée que tout est la faute de la Maison Blanche. Cette fois-ci, ce n'est pas la faute du Président. Ses coupures donnent dans l'anti-progressif , mais ne sont pas en cause dans l'effondrement immobilier.

Pour blamer quelqu'un, prenons-nous en à A. Greenspan, qui fixa les taux d'intérêt trop bas pour trop longtemps contre l'avis de plusieurs collègues et des signes avant-coureurs. Il n'était pas seul de cet avis. Entre 2003 et 2007, il n'y avait pas de public pour apprécier les difficultés possibles d'investissements dans le sécurisé-par-hypothèque, ou pour des hypothèques à termes tellement laxes qu'on permettaient à l'emprunteurs d'accroître les sommes dues. On s'interrogeait sur les profits réalisés par le voisin qui vend son appart., on cherchait des occasions sur le Web immobilier ou des maisons à voir, on téléphonait chez Washington Mutual ou Countryside pour un nouvel emprunt sur la maison. Voilà la nature d'une phase manique de spéculation: finalement, on est presque tous séduits.

Il est grand besoin d'un renouveau intellectuel, et commençons par un article signé par Minsky en partenaire, qui avance que 'une intervention saine et des structures institutionelles sont nécessaires aux économies de marché.' Plutôt que de se perdre en discussions futiles sur moins de taxes vs plus de dépenses, penchons-nous sur comment réformer le système financier pour mieux servir l'économie plutôt que d'y être parasitaire, et déstabilisateur. A l'agenda: la rénumération à Wall Street qui encourage la prise de risque excessive; resserrer le prêt irresponsable tout en servant l'emprunteur méritoire; aider les victimes de pratiques aggressives sans sauver les prêteurs en cause; tenir les agences de cotation responsables de leurs jugements. Assûrément des questions difficiles, sans réponses évidentes mais par le fait même intéressantes. Minsky le croyait, 'les économies évoluent et doivent aussi, les politiques qui les régissent.'